Saison 2 • Episode 20
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J’ai récemment regardé avec mon amoureuse le diable s’habille en Prada.
De prime abord, je pourrais dire que je m’attendais a un film simplet au scénario désuet et à la mise en scène classique.
Et bien figurez-vous que pas du tout, je me suis surpris à y trouver des acteurs talentueux, une relation complexe et une réflexion intéressante sur le secteur de la mode, finalement, ce film m’a inspiré.
Tout particulièrement grâce à son personnage principal, Miranda Priestly, rédactrice en chef de Runway, un célèbre magazine de mode. Inspirée avec génie par Ana Wintour et Cruella d’enfer, elle est divinement interprétée par Meryl Streep. Elle y joue une directrice froide, cruelle et sans pitié qui assomme ses n-1 à coup de punchlines tranchantes et moralement dévastatrices.
Le synopsis nous plonge donc dans le regard de sa toute nouvelle assistante, Andrea, fabuleusement interprété par Anne Hathaway. Elle y interprète une assistante débutante, naïve, de prime abord dénuée d’intérêt pour la mode et qui va subir les sauts d’humeur de sa terrible manageuse.
Une réplique prononcée par Miranda Priestly à la fin de la première demi-heure du film m’a fait sentir que celui-ci avait plus à donner qu’une simple histoire rigolote :
“Je vois, vous vous prenez trop au sérieux pour vous soucier de ce que vous portez et vous mettez disons cette espèce de pull difforme mais ce que vous ne savez pas c’est que ce pull n’est pas juste bleu, il n’est ni turquoise, c’est un pull que l’on appelle céruléens.
Je suppose que vous ignorez parfaitement qu’en 2002 Oscar de la Renta a repris les vestes militaires céruléennes… Puis il s’est retrouvé dans un bac de liquidation d’une ridicule boutique de prêt à porter.
Quoi qu’il en soit ce pull représente des millions de dollars ainsi qu’un nombre énorme d’emplois et j’avoue que je trouve comique que vous pensiez que ce pull vous exempte du fabuleux monde de la mode alors qu’en faite il a été créé spécialement pour vous par les gens présents dans cette salle. Parmi une pile de trucs divers !” Miranda Priestly
Cette réflexion appuyée donnée par la manageuse m’a fait réalisée que le film ne cherchait plus seulement à me raconter une histoire, mais plutôt à m’apporter l’Histoire de la mode.
A cet instant, je comprends que Miranda Priestly n’est pas un simple démon, son personnage n’est pas manichéen mais plein de nuance, elle représente un milieu, une norme, elle n’est pas là uniquement pour être méchante, elle est là pour représenter son institution, quoiqu’il en coûte.
Et d’une manière, sa manière vous en conviendrait, elle commence son rôle de manageuse, elle explique à la fois à Andrea, sa n-1 mais aussi au spectateur, qu’il va falloir se mettre au niveau, à son niveau.
Le réalisateur se joue de nous, nous prenions Miranda pour une simple Cruella dont nous allions nous moquer pendant 1h30 en se disant que finalement, c’est une peau de vache, pour finalement se retrouver projeter dans nos bassesses en se disant que contre toute attente, c’est peut-être elle qui a raison, nous sommes tous une Andrea.
Je lis actuellement le livre Build, autobiographie de Tony Fadell, concepteur du premier iPod chez Apple, qui a notamment travaillé de nombreuses années avec Steve Jobs. Il y explique les différentes étapes qui l’ont fait passer de simple ingénieur chez Phillips à Fondateur de la marque Nest en passant par Apple. Il y délivre les anecdotes qui l’ont fait vibrer tout au long de sa carrière.
Tony Fadell a écrit un chapitre qui m’a énormément marqué qui s’intitule, les enfoirés. Il y fait la distinction entre deux types d’enfoirés qu’il a rencontrés pendant sa carrière. Tout d’abord, ceux qu’il appelle les véritables enfoirés, centrés sur les humains, qui feront tout dans votre entreprise pour rendre la vie difficile à ses collègues, il les condamne et donne une solution simple si vous en croisez un, fuyez !
Il parle également d’un autre type d’enfoiré, ceux portés par la mission, il les décrit :
“Ils sont follement passionnés, et un petit peu fous. Ils parlent avec franchise, ignorent la politique du bureau et bousculent le fragile ordre social qui dicte comment les choses sont faites ici. A l’instar des vrais enfoirés, ils ne sont pas faciles à vivre et il est difficile de travailler avec eux.
Contrairement aux vrais enfoirés, ils se sentent concernés. Ils s’impliquent. Ils écoutent. Ils travaillent extrêmement dur et poussent leur équipe à toujours faire mieux. Ils sont implacables quand ils savent qu’ils ont raison, mais ils sont prêts à changer d’avis et saluent les efforts des autres s’ils le méritent vraiment.
Pour savoir si vous travaillez avec un “enfoiré” porté par la mission, écoutez ce que l’on raconte sur lui au travail - on entend toujours des histoires sur une chose dingue qu’il a faite, et ceux qui ont travaillé avec lui répètent toujours qu’il n’est pas si méchant que ça en réalité. Autre indice de taille : ses collègues lui font confiance, respectent ce qu’il dit et gardent un bon souvenir de leur collaboration car il les a poussés à travailler mieux que jamais.” Tony Fadell
Miranda Priestly serait donc une enfoirée portée par la mission.
En effet, on la déteste, elle même le sait.
Cependant, elle est tellement portée par son institution et convaincue qu’elle fait les bonnes choses pour son entreprise, qu’elle est forcée contrainte d’être une enfoirée.
On s’en rend compte dans la seconde partie du film car nous commençons par intermittence à entrevoir des failles dans la carapace de cette femme, finalement pas tellement une enfoirée…
Andrea, comme nous, le comprend, et c’est à ce niveau que la magie opère, elle croit en sa manageuse, malgré ses défauts. Comme dépeint par Tony Fadell, l’enfoiré porté par la mission ne fait pas toujours l’unanimité, il est clivant et anticonformiste mais a cependant une aura naturelle qui va embarquer ses n-1 avec lui.
Grâce à sa droiture, son authenticité, son charisme, l’enfoiré porté par la mission finit toujours par embarquer son équipe avec lui. De plus, sa dureté et son exigence lui assurent qu’il n’est pas là pour “faire semblant” ni pour “faire plaisir”, il connaît sa mission et sait ou il va aller, quoiqu’il en coûte, que ça plaise ou non.
Je suis sure que tu as en ce moment même l’image d’un enfoiré que tu as rencontré dans ta carrière, tu te dis même que c’est peut-être toi cet enfoiré !
Peu importe ta place, l’important est de comprendre que, si comme Andrea, tu as réussi a repérer un enfoiré porté par la mission, persévère, tu es peut-être au début d’une fabuleuse aventure, certes complexe et délicate, mais qui te fera certainement énormément gagner (je ne spoilerai pas la fin du film..!).
Si tu es un enfoiré, comme j’ai parfois l’impression de l’être avec mes collègues, sois conscient que tu ne feras jamais l’unanimité, assure-toi de ne pas faire de mal aux personnes qui travaillent avec toi tout en gardant tes valeurs, tu ne changeras jamais.
Finalement, la vraie question, que tu sois manager ou managé, est de savoir si tu es prêt à faire confiance à ton équipe, à lui accorder le droit de te bousculer pour le pire comme pour le meilleur, pour, tout compte fait, parvenir à ce que tout le monde, finisse un jour, par s’habiller en Prada.
A la semaine prochaine.
Vincent
“Soyons clairs, Steve Jobs n’était pas l’un de ces enfoirés. Bien sûr, il lui arrivait de dépasser les limites - il était humain - mais je ne cautionnais pas, je ne l’excusais pas et ça n’était pas la norme. Steve était un “enfoiré” porté par la mission, un ouragan passionné.” Tony Fadell