Ne vous êtes-vous jamais demandé ce que vous auriez pu devenir ?
Si vous n’aviez pas fait les études que vous avez faites ?
Si vous n’aviez pas réalisé ce premier job ? Rencontré ce garçon, cette fille ?
Votre vous d’aujourd’hui serait-il quelqu’un d’assez proche de ce que vous êtes ? Quelqu’un de complètement différent ?
Et si l’on devait refaire votre Histoire ?
Je viens de finir un livre d’Eric Emmanuel Schmidt qui s’appelle la part de l’autre. Ce livre est une réflexion sur la vie d’un homme, ou plutôt sur les vies d’un homme.
Un jeune homme, comme vous et moi, qui à l’aube de sa longue vie, se présente au concours d’entrée aux beaux arts.
Une part de lui réussit le concours et obtient le précieux sésame, a déjà l’impression de réussir son avenir, il deviendra artiste.
L’autre part de lui, quant-à elle, échoue lamentablement, sous le moqueries d’un jury peu bienveillant, il voit déjà son avenir se noircir, il ne sera pas artiste. Pire encore, il est fichu, son monde s’écroule.
J’ai, pour ma part, raté le concours d’entrée à la faculté de médecine à l’aube de ma vingtaine.
Ma part à moi, a échoué à ce moment là.
Mon monde ne s’est pas écroulé mais je me souviens quand même avoir souffert grandement de cet échec.
J’avais consacré une partie de ma jeunesse à nourrir l’ambition de devenir médecin, pour finalement, du jour au lendemain avoir dû faire le deuil. Envisager l’avenir n’a pas été simple et ce pendant quelques mois, certainement quelques années.
Surtout, qui serai-je devenu si je l’avais réussi ?
Qui serait ma femme ? Quel visage aurait mon enfant ? Aurai-je rencontrer tous ses amis ? Ou habiterai-je ?
Eric-Emmanuel Schmidt, dans son livre, envisage les deux futurs de son protagoniste tel qu’il l’imagine… Ou du moins en partie.
Car son protagoniste n’est pas n’importe qui ; il s’agit d’Adolf Hitler.
Pour ainsi dire, il s’agit d’un cas d’école puisque l’auteur ne doit pas inventer la part d’Adolf que nous connaissons tous, il la raconte et la documente, pour montrer comment cette part, si maléfique soit-elle, s’est dévoilée chez le dictateur.
A contrario, il dénoue les fils d’un destin bien différent dans l’autre partie du récit, celle ou Adolf a réussi le concours, celle ou il est censé vivre la vie qu’il a toujours rêvée, son futur.
J’aime parfois dire que je suis heureux d’avoir raté. Car j’aime la vie que j’ai développée après cet échec, j’aime le moi que je suis devenu malgré si parfois, j’en déteste quelques parties. Je n’oserai même pas imaginé ne pas avoir vécu cette histoire.
Cependant, avec du recul, je me dis avec certitude que ma personnalité, mon caractère, est la conséquence de la somme des épreuves que j’ai rencontré.
A froid, je me dis que j’aurai pu être quelqu’un de complètement différent, un autre Vincent, pire ou meilleur, je ne le saurai jamais.
C’est ici tout le génie de l’œuvre E-E Schmidt, son « héros » régit au principe d’incertitude d’une manière fabuleuse. Adolf est ici et là au même instant, et, tout au long de l’histoire, les deux protagonistes s’éloignent pour ne finalement n’avoir presque que le prénom en commun. Adolf n’est plus Adolf. Hitler n’est plus Hitler. Leur monde est si différent, et pourtant si proche.
Ne vous êtes vous jamais demandé si tel ou tel catastrophe, tel ou tel événement marquant aurait eut lieu si vous n’étiez pas ici ou là ?
Je suis sûre que vous savez tous où vous étiez le jour du 11 septembre 2001. Les attentats auraient-ils eu lieu dans une autre vie ?
C’est là ou, selon moi, réside tout le génie de l’écrivain.
Il n’y a pas de bon ou de mauvais destin pour une part ou l’autre.
L’une, ici fatalement, est devenue le diable que nous connaissons tous.
L’autre, malheureusement, n’a pas pour autant vécu dans un monde complètement dénué d’horreurs.
L’Homme quant à lui, dans les deux cas, a vécu deux Histoires bien différentes.
Bien que conditionné de la même façon pendant sa jeunesse, Adolf n’a plus jamais été le même.
Pire encore, cela nous montre qu’en chacun de nous, comme en Adolf, sommeille une part qui aurait pu être terrible.
Et que nous ne sommes finalement que la somme des événements de vie à laquelle nous sommes exposés.
Bien évidemment, suite à cette lecture, je ne peux cesser de me demander si j’aurai été meilleur ou pire que ces gens, meilleur ou pire que moi-même.
Si ma vie avait été différente, qui serai-je devenu ?
Est ce que je suis le bon ou le mauvais Vincent ? Le gentil éclairé ou le mauvais salopard ?
Prendre du recul, revenir en arrière et contempler ce qu’on est devenu et ce que l’on aurait pu être est un exercice difficile et vertigineux. Mais comme le propose ici E-E Schmidt, cela peut-être aussi une formidable opportunité de faire le point, de juger ses actes et de bannir ses vieux démons.
Au final, a contrario de ce que Schmidt met volontairement en avant dans son livre pour nous faire comprendre l’ambiguïté ? Notre moi, notre part, n’est ni très mauvaise comme Hitler, ni très bonne comme Adolf. Finalement, il réside en chacun de nous des parties de ces deux extrêmes qui font toute la nuance de notre personnalité, notre Yin et notre Yang.
L’important, c’est de savoir accepter d’être celui que nous sommes devenus, sa part, sans oublier qu’un autre, ailleurs, aurait pu exister. De sublimer sa part sans oublier son autre.
De comprendre Adolf sans oublier Hitler.
A la semaine prochaine.
Vincent
« Aujourd’hui, les hommes caricaturent Hitler pour se disculper eux-mêmes. La charge est inversement proportionnelle à la décharge. Plus il est différent, moins il leur ressemble. Tous leurs discours reviennent à crier « ce n’est pas moi, il est fou, il a le génie du mal, il est pervers, bref il n’a aucun rapport avec moi ». Dangereuse naïveté. Angélisme suspect. » Eric-Emmanuel Schmidt.